Nomination de Blandine Mallet-Bricout à la Cour de cassation

Publié le 16 mars 2021 Mis à jour le 16 mars 2021
Nomination de Blandine Mallet-Bricout à la Cour de cassation
Nomination de Blandine Mallet-Bricout à la Cour de cassation

Blandine Mallet-Bricout, Professeur des universités en droit privé et sciences criminelles, membre de l'Equipe de recherche Louis Josserand de l'Université Jean Moulin Lyon 3 est nommée Avocate générale à la Cour de cassation par décret du Président de la République en date du 17 décembre 2020.

Comment êtes-vous devenue Avocate générale à la Cour de cassation ? Quel est votre parcours professionnel ?

Après plus de vingt ans de carrière professionnelle en tant qu’enseignant-chercheur, à Paris puis à Lyon, j’ai été sollicitée par la Cour de cassation au regard de mes spécialités en droit des biens et droit des contrats pour postuler sur un poste de magistrat au sein de cette juridiction, en « service extraordinaire », c’est-à-dire que je fais partie du contingent (10% au maximum) de conseillers et avocats généraux de la Cour de cassation qui sont recrutés, non pas dans le corps de la magistrature, mais parmi d’autres professionnels du droit (le plus souvent des professeurs d’université, parfois des avocats, des notaires …) et ce, pour dix ans. Il existe d’ailleurs d’autres passerelles qui permettent à des enseignants-chercheurs d’intégrer la magistrature ou de participer à des activités juridictionnelles, à différents niveaux de juridictions (première instance, cour d’appel).

Pour accéder à ces fonctions, il faut déposer un dossier et passer différents entretiens, notamment celui, déterminant, devant le Conseil supérieur de la magistrature, qui assiste le chef de l’Etat dans sa fonction de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Le CSM rend un avis transmis au Garde des sceaux puis au Président de la République. J’ai donc passé ces étapes et ai finalement été nommée dans ces fonctions par un décret du Président de la République le 17 décembre 2020, avec un très court délai ensuite pour quitter l’université Lyon 3 et rejoindre la magistrature, puisque j’ai été installée à la première chambre civile de la Cour de cassation dès début janvier ! Il faut souligner que nous sommes désormais deux professeurs de l’université Lyon 3 à avoir récemment rejoint la Cour de cassation, puisque le professeur Hugues Fulchiron a quant à lui été nommé il y a un an conseiller en service extraordinaire.
 

Quel est le rôle et le fonctionnement de la Cour de cassation ?

La Cour de cassation est la plus haute juridiction française, elle est unique et son siège est à Paris, au Palais de justice, dans les locaux de la Conciergerie. Elle apprécie le pourvoi qui est formé par l’une des parties à un litige contre la décision qui a été rendue par les juges du fond (une cour d’appel généralement). Sa particularité est qu’elle ne juge qu’en droit ; schématiquement, son rôle est donc de vérifier si la décision attaquée a bien appliqué la règle de droit. Mais elle joue aussi un rôle essentiel d’harmonisation de l’interprétation de la loi, ce qui peut conférer une portée normative à ses décisions. Le rôle de la Cour de cassation est ainsi essentiel dans le fonctionnement de la justice en France, dans un contexte juridique élargi au droit européen et avec aussi un regard sur la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Au sein de la Cour de cassation, on distingue le siège (les conseillers) et le parquet (dirigé par le Procureur général). Les avocats généraux sont rattachés au parquet et répartis, tout comme les conseillers, dans les six chambres de la Cour. Celle-ci est dirigée par un Premier président … ou une Première présidente comme c’est le cas actuellement, qui est le premier magistrat de France dans l’ordre judiciaire. Il y a environ 220 conseillers et 55 avocats généraux, outre le greffe qui rassemble environ 270 agents et d’autres services nécessaires à son fonctionnement (documentation, bibliothèque, informatique…). C’est donc une grande maison, qui a enregistré environ 21.000 affaires en 2020 ! De nombreuses réflexions ont lieu actuellement au sein de la Cour de cassation sur des sujets essentiels comme l’open data des décisions de justice, l’orientation des pourvois (plus ou moins faciles à traiter), ou encore la collaboration entre le siège et le parquet, tous sujets (et bien d’autres !) qui sont fréquemment abordés par la Première présidente et le Procureur général dans les médias juridiques ou généralistes car l’actualité est foisonnante.
 

Quel est votre rôle en tant qu’Avocate générale à la Cour de cassation ?

L’avocat général, dans cette juridiction, a un rôle particulier. Il fait partie du Parquet général de la Cour de cassation, c’est donc un magistrat, mais il s’agit davantage d’un « rapporteur public », comme au Conseil d’Etat, que d’un procureur au sens des juridictions du fond. En effet, l’avocat général rend des avis sur les affaires qui lui sont soumises, en toute indépendance et selon la forme qu’il choisit. Selon le Code de l’organisation judiciaire, ces avis juridiques sont rédigés « dans l’intérêt de la loi et du bien commun », tout en éclairant la Cour « sur la portée de la décision à intervenir » (portée juridique, économique, sociale, environnementale…). Ses avis portent principalement sur les questions de droit qui sont soulevées dans les pourvois, mais aussi sur des QPC ou encore sur des avis demandés à la Cour de cassation par des juridictions du fond. L’avocat général à la Cour de cassation est considéré comme « une fenêtre vers l’extérieur », une interface entre la Cour de cassation et la société civile, son rôle est d’éclairer les conseillers, qui eux, vont prendre collectivement les décisions et rédiger les arrêts. Il peut parfois recourir à des consultations externes pour mieux comprendre le contexte exact de la question posée et ses implications dans la société civile (par exemple, en droit du travail, en droit des personnes, en droit pénal…). Pour chaque affaire, sont ainsi nommés un conseiller rapporteur et un avocat général, chacun travaillant le dossier à sa manière, dans le but de confronter les points de vue et de parvenir finalement à la décision la plus juste possible. L’avocat général rend des avis écrits puis des avis oraux lors de l’audience, mais il ne participe pas au délibéré, qui rassemble uniquement les conseillers.
 

Quel regard portez-vous sur les missions qui vous sont confiées ?

Ces nouvelles fonctions constituent pour moi un vrai virage professionnel, car il s’agit non plus de porter un regard rétrospectif ou prospectif sur le droit privé, ce qui constitue un travail doctrinal, mais de participer concrètement à l’œuvre quotidienne de justice, tout en participant de l’intérieur à la construction de la jurisprudence. L’avocat général peut être force de proposition et d’innovation, par exemple proposer un revirement ou encore la saisine pour avis d’une autre chambre voire la réunion d’une chambre mixte, mais chaque affaire présente ses spécificités contextuelles, humaines, temporelles … et il n’est pas facile de juger ! Lorsque je rends un avis, je m’interroge toujours sur l’impact concret qu’aura la décision sur les parties, alors que la réflexion doctrinale est nécessairement bien plus abstraite. Je suis très heureuse de cette évolution professionnelle, qui me permet de découvrir un nouveau métier, de réfléchir autrement sur le droit et d’explorer des questions juridiques très variées, pas forcément en lien avec mes spécialités. J’espère pouvoir revenir dans une dizaine d’années à l’université avec cette expérience à partager !